Intermonde(s) - Fiction, chantier, utopie

Publié le 17 janvier 2019 Mis à jour le 17 janvier 2019
le 23 janvier 2019
Mercredi 23 janvier 2019 de 9h00 à 18h00

Université Toulouse-Jean Jaurès
La Fabrique

Journée d'étude

Littéralement « espace entre deux mondes », intermonde est un terme qu’il est possible d’aborder différemment selon les champs disciplinaires qui l’ont inventé ou qui plus récemment s’en sont emparé. Si l’astronomie ancienne a permis de maintenir cette vision imagée des lointains territoires inaccessibles de nos galaxies et de l’espace intersidéral, la philosophie et la sociologie l’ont richement nourrie avant que les pratiques artistiques contemporaines ne se l’approprient aussi.
Dès l’antiquité grecque, Epicure fait des intermondes le séjour naturel des Dieux qui demeurent dans ces intervalles entre les mondes, « là où se meuvent librement des atomes inemployés et pour ainsi dire flottants »¹.
Le philosophe Henry Corbin² fait de l’imagination créatrice, non réductible à l’imaginaire, un intermonde qu’il nomme « monde imaginal » où l’on accède par une « attitude réceptive spirituelle », un recueillement vers l’éveil. Exaltation philosophique de l’image particulièrement à l’oeuvre dans la pensée islamique, elle permet d’accéder à un monde suprasensible, ni le monde connu par les sens, ni par l’intellect, mais un troisième monde, un intermonde entre le sensible et l’intelligible. Lieu d’une « métaphysique de l’extase », le monde imaginal est un intermonde de visions, mystiques, épiques, initiatiques, lithurgiques …
Selon les périodes et les cultures, la métamorphose est possiblement à l’oeuvre dans ces intermondes reliant l’humain et le divin, voie privilégiée des théophanies : transformation daïmonique, la métamorphose traverse le réel et les savoirs, les êtres, les choses et les lieux.
Les sociologues inventent quant à eux une sociologie de l’intermonde, (Martucelli) pour réinterroger la théorie générale de l’action humaine dans son milieu : la ville, par exemple, en tant qu’espace d’existence, d’expérience et d’action produit des intermondes — intermonde local, intermonde en réseau, intermonde des voisins —. Ces intermondes sont des lieux de rassemblement de couches de significations culturelles, d’épaisseurs, lieu « de stockage qui peut prendre différentes formes empiriques (plis, sédimentations, palimpsestes, hypertextes…) ouvrant chacune d’elles à un mode particulier d’agencement », « fouillis de textures où les acteurs cherchent et trouvent, retrouvent, bricolent un large éventail de conduites »³.
Dans le champ des arts contemporains, les plasticiens sont nombreux à investir les territoires de la fiction et travailler autour de cette notion d’intermonde, au point que le Centre d’Art de La Rochelle⁴, lieu de résidence d’artistes, en prenne l’appellation.
C’est précisément la notion d’intermondes qui a été retenue par exemple pour présenter le travail de la plasticienne Tatiana Trouvé⁵. Au travers d’installations et de constructions, de dessins et de collages, d’énigmatiques ficti ons hors du temps développent un univers inaccessible et pourtant ouvert à chacun au coeur d’une mémoire collective. « Sommes-nous dans une oeuvre achevée ou en construction ? dans un conte de fées ou un chantier ? »⁶ Fragments de narration, rien ne semble véritablement arrêté ou défini, les vides résiduels des espaces d'exposition, angles et interstices, deviennent lieux « d’une activité de transformation mystérieuse, de confection énigmatique ».
Si le terme n’est pas forcément identifié dans les propos développés par les critiques, historiens et théoriciens de l’art, cette notion d’intermonde nourrit, de manière singulière pour chacun, l’oeuvre d’Anne et Patrick Poirier, Yann Toma, Joan Foncuberta, Alain Josseau, Kawamata, Sarah Sze, ou le collectif Suspended spaces, liste non exhaustive qu’il conviendra à chacun d’enrichir.
Mais on s’intéressera plus particulièrement au travail d’Alain Bublex, artiste invité de notre Master cette année et dont l’exposition du travail Glooscap constituera le point de départ des pratiques scénographiques et artistiques des étudiants pour l’exposition annuelle.
Traversé par les questions de voyage, de chantier, de projet⁷, Alain Bublex propose une vision discontinue des villes et des territoires qu’il recompose et remodèle dans un espace-temps illimité. Au coeur d’une pensée en mouvement pour un travail sur « des fictions vraisemblables », l’artiste nous propose une vision du monde comme un chantier, aux prises avec les notions d’accumulation, hybridation, métamorphose, prolifération, expansion. La ville fictionnelle, entreprise volontairement démesurée, illimitée, nourrie d’histoire et de références aux utopies contemporaines (Le Corbusier, les Métabolistes japonais, Archigram…) ainsi que de design industriel et critique, est appelée à s’enrichir de visions autres, au coeur de nouvelles plasticités, dessins techniques, maquettes, photographies, vidéo ou installations, qu’il expérimente lui-même à travers les projets suivants, de Plug in city (2000) aux pratiques actuelles ( Printemps de Septembre, Toulouse, 2018).
Cette journée d’étude vient apporter des contenus théoriques sur ce sujet ; l’exposition des travaux Glosscap d’Alain Bublex dans la Galerie « Le Tube » de La Fabrique sera quant à elle le point de départ d’une expansion : cette oeuvre ouverte, appelée à être continuée, trouvera une prolifération dans les propositions plastiques des étudiants du master CARMA.


1- Joseph Moreau, Epicure et la physique des dieux , Revue des études anciennes, 1968, n°70-3-4, p.286 ; https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1968_num_70_3_3819
2- Henry Corbin, Corps spirituel et Terre céleste (1979), Ed. Buchet Chastel, 2015
3- Danilo Martucelli, Penser l’intermonde, ou comment oublier le problème de l’ordre social, in Revue du MAUSS, 2006/1 (n°27) p. 431-443 ; https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2006-1-page-431.htm
4- Le Centre Intermondes, généré par le sociologue Jean Duvignaud en 2002, est un lieu de rencontre et de résidences d’artistes et de créateurs.
5- Terme utilisé par Christophe Kihm, commissaire de l’exposition de Tatiana Touvé au MAMCO à Genève
6- https://www.letemps.ch/culture/mamco-tatiana-trouve-voyage-entre-dimensions- Le Temps
7- Alain Bublex, Flammarion, Paris, 2010




Le programme de la journée est disponible.