Le poète national

Publié le 24 mai 2022 Mis à jour le 24 mai 2022
du 31 mai 2022 au 2 juin 2022
Université Toulouse Jean Jaurès
Maison de la recherche

Colloque international

Le poète national est une figure ancienne, et même un temps démodée, qui a peu à peu ressurgi au premier plan de notre horizon littéraire - l’ouvrage décisif d’Anne-Marie Thiesse sur La Fabrique de l’Ecrivain national l’a manifesté avec éclat. « Incarnation d’une image de la nation par son oeuvre et sa personne entre littérature et politique. », selon la définition qu’elle en donne, cette figure s’inscrit dans une perspective dynamisée par les travaux nombreux des historiens depuis trois décennies, de Benedict Anderson à Pascal Ory : nation building, « communauté imaginaire », mais aussi résistance de la réalité nationale au démontage d’un scénario de « fabrique » et de « construction » sont devenus des enjeux communs aux penseurs de différents champs disciplinaires. La récurrence fantastique de ce personnage, un Homère relayé par Dante et par Ossian, quand il n’est pas un Tyrtée nationalitaire, de l’éveil romantique des nationalités aux chantiers identitaires de l’horizon postcolonial n’a cependant
pas fini d’étonner et de demander commentaire. Dans une rencontre ambitieuse quoique consciente de ses limites face à un aussi imposant sujet, nous souhaitons donc prolonger le débat ouvert par Anne-Marie Thiesse en abordant, autant que possible, les diverses facettes de cette monumentale incarnation du pouvoir des lettres.

Un premier moment de l’enquête consistera à revisiter les plus classiques scénarios de genèse du poète national : ceux qui ont promu les Milton et les Camoens dans l’ombre distante de Dante; si le XIXe siècle a pu les mobiliser, n’est-ce pas qu’un premier moment de surgissement de l’Etat-Nation, et l’investissement de grandes aventures collectives comme l’Empire colonial ou la Réforme, ont rendus dès longtemps ces figures mobilisables ? Nous requièrent aussi les scénarios d’apothéose romantique : le crucial passage de relais du modèle herdérien de l’Homère collectif au modèle hégélien du grand homme demande à être compris dans son détail : contrairement à Walter Scott, le grand homme Byron n’est pas un poète national. Enfin, tandis qu’émerge le territoire national, le pouvoir du poète à incarner un territoire, à le revendiquer, mais aussi bien à le déborder, présente, de Frédéric Mistral à Walt Whitman, et bien au-delà encore, des cas de figures historiques et contrastés.

En ces divers contextes, la persistance de la figure du poète national, montre, en réalité jusqu’à nos jours, qu’elle actualise une fonction pérenne : une fonction officielle, illustrée par le titre décerné par un état (à Pedro Mir, pour la République dominicaine, à Nicolas Guillen pour Cuba), une fonction traditionnelle comme celle du poète lauréat anglais (naguère Tennysson, aujourd’hui Simon Armitage), une fonction renouvelée par l’urgence de l’inquiétude nationale (comme l’institution du poète national belge sur laquelle Carl Norac pourra porter son témoignage). Explorer la fonction du poète national revient alors sans doute à interroger la persistance d’une poésie publique ou populaire, investie par la communauté, et traitant délibérément des thèmes significatifs pour cette communauté – un programme qui semble bien distinct d’une certaine vision téléologique de la « poésie moderne », individuelle, spontanée, quand elle n’est pas formelle, autotélique.

La nécessité du poète national dans les tournants politiques, traduite aussi bien dans sa mobilisation autoritaire (Dante mussolinien, Eminescu communiste) que dans la réaffirmation d’une identité fragilisée (la revendication de Chevtchenko en Ukraine) ou dans le balisage de territoires neufs, en ce contexte postcolonial au sens large qui s’ouvre dès l’émergence d’une poésie des Amériques (avec peut-être un modèle whitmanien), implique une redéfinition régulière de la fonction du poète national, loin du
musée où l’on aurait pu croire évident de le reléguer. En ce sens le débat politique autour du poète national, en Corse ou au Québec, en Belgique ou en Roumanie, dans l’exil arménien encore, formera le coeur de notre réflexion. Mais, sachons-le, doublé le plus souvent d’un débat critique où la nature et le statut de sa poésie, l’écart ou l’adéquation à certains genres plus représentatifs, la réception esthétique de son oeuvre interagissent avec la transfiguration collective plus ou moins claire, ou discutable,
du poète.

Enfin, notre rencontre s’intéressera au personnage du poète national, objet d’un culte (un culte que le sacre de l’écrivain a substitué au culte proprement religieux), statufié, visité en sa maison-musée, source d’une iconographie et de ces produits dérivés que sont les timbres ou les billets de banque ; ce poète exposé en son monument peut être la cible d’une destruction (les Allemands en 1940 démolissant les monuments à Mickiewicz à Varsovie, comme celui à Hugo dans Paris) ; il s’offre comme
un mythe à construire avec la nation (comme Verdaguer en Catalogne), à maintenir dans les cérémonies de l’unité ou dans la mémoire de l’exil, ou encore, sans doute comme un mythe à déconstruire, réécrit, investi dans des scénarios désacralisants, tel ce Camoens désoeuvré sur les navires du reflux de l’Empire dans Les Caravelles de Lobo Antunes, ou ce Sénèque identitaire du stoïcisme espagnol réduit au ridicule dans la fiction de Goytisolo ... L’interrogation de ce versant aussi bien plastique du
poète (l’effigie, le monument) comme de sa place dans une économie des lieux de mémoire (le paysage littéraire national) devraient en tout cas jouer un rôle important dans notre enquête.

Le programme est disponible en téléchargement.