Soutenance de thèse de Gilles Jacinto

Résumé :

Dans le contexte de prolifération des usages des théories, des pratiques et du concept du « queer », dans les productions artistiques contemporaines et dans les recherches académiques sur l’art, « l’art queer » institué, valorisé par les sphères officielles de l’art comme par leurs marges, imite les formalismes et les dogmes de « l’art politique » des dernières décennies. En se fondant sur les préceptes de « l’art-performance », qui s’imposent dans toutes les disciplines artistiques depuis une trentaine d’années, dans des œuvres qui mettent en scène la « performance de genre » sans distinguer les deux sens du terme, il reconduit certains aspects de l’idéologie posmoderniste, néolibérale et néo-capitaliste contre laquelle le queer permet pourtant, à certaines conditions, de lutter. À partir d’une relecture critique des écrits théoriques des chercheures et des chercheurs en études de genre, féministes et queer, notre étude propose de repenser les « esthétiques queer », et leur éventuelle politicité, à l’aune des nouveaux contextes politiques et des nouvelles méthodes mises en œuvre par le pouvoir dominant pour imposer des normes excluantes, hiérarchisantes et normalisantes, du point de vue du sexe, du genre, de la sexualité, de la classe sociale et de l’origine. Face aux deux fronts contre lesquels le projet politique queer s’érige, le front conservateur-fascisant et le front néolibéral, les concepts de « corps-identité » et de « pouvoir corpo-identitaire », que nous développons, permettent d’arracher le terme postmoderne, « queer », au postmodernisme, en substituant aux réductions assignatrices et formalistes du queer un point de vue épistémologique esthético-politique queer sur les corps et sur les identités. Plutôt que de redéfinir des « corps-identités » queer, comme nous y incite le pouvoir dominant, ce point de vue, dans l’art, pluralise les identifications, de manière mobile, plastique, dialogique et conflictuelle, dans des scènes et dans des moments performatifs et politiques. L’analyse sous cet angle d’un corpus transdisciplinaire d’œuvres, produites des années 1970 à aujourd'hui (théâtre, danse, cirque, performance, cinéma, roman), nous permet de repenser les relations entre art, queer et politique, selon une approche qui les distingue pour mieux les mettre en relation. Il s’ensuit une remise en cause des usages du queer les plus visibles ou valorisés, dans le champ de l’art, au profit de formes non plus seulement transgressives mais véritablement subversives, en lien avec leurs contextes de production et de réception. Corps, scènes et fictions queer, ainsi reconsidérés, apparaissent comme les outils les plus intéressants pour repolitiser l’art et le queer lui-même, bien souvent cantonné à des approches sociologiques et philosophiques qui instrumentalisent les œuvres au profit de leurs thèses. Ils autorisent une critique des formes majoritaires et dépolitisantes de « l’art queer » actuel, un nouveau regard sur les représentations de l’homosexualité masculine et la définition d’un « corps politique queer » contemporain.